Notre Pont de Pierre bien-aimé !

Avant la construction du pont, les bordelais appelaient l’autre rive « le pays de l’au-delà », puisque le fleuve avait toujours été une frontière entre Bordeaux et la France, un endroit à maintenir à distance. Dès avril 1808 Napoléon voulait un pont pour faire traverser la Garonne à ses armées en conquête de la péninsule ibérique. La municipalité refusa le projet d’un pont de bois sur piles de pierre, et celui utilisant des voûtes en fer, les deux incluant une travée mobile.

En juin 1810, un pont de 535 mètres de long pour un coût de 2 400 000 francs, payé à moitié par l’Etat et à moitié par la ville, devait être bâti. Au mois d’octobre les trois premières piles s’élevèrent rive gauche. En février 1812 ce fut l’ingénieur et Inspecteur des Ponts et Chaussées Claude Deschamps qui prit le relais des travaux ; en décembre une première pile sortit de la rive droite. Mais l’année suivante, en décembre 1813 une crue de la Garonne emporta les pieux d’échafaudage et les fondations de cinq piles de la rive gauche, et la vase englua les travaux sur la rive droite ! Ceux-ci reprirent au ralenti, mais s’arrêtèrent faute de financement à la chute de l’Empire en 1814, il n’y avait que trois piles par rive.

En 1816, le futur maire de Bordeaux alors simple armateur, Pierre Balguerie- Stuttenberg créa une association de commerçants, négociants et armateurs bordelais pour apporter 2,5 millions de francs à la reprise des travaux, sous la condition que les droits de péage leur reviennent pendant 99 ans. La Compagnie du Pont de Bordeaux obtînt le feu vert de l’Etat pour terminer les travaux en 4 ans. Claude Deschamps ressortit ses vieux croquis et décida d’alléger la structure en utilisant des briques pour les remplages, d’établir des galeries longitudinales ainsi que des salles voûtées au-dessus des piles. Le pont est creux !

Les quelques 4 000 ouvriers livrèrent le pont à la circulation le 1 er mai 1822. L’ouvrage final mesure 487,6 mètres de longueur pour 14,6 mètres de largeur. Ses 17 piles – selon la légende elles commémorent les 17 lettres de Napoléon Bonaparte, qui n’a finalement jamais connu ce pont ! – reposent sur 250 pieux de pins landais enfoncés à une dizaine de mètres dans le lit de la Garonne. Seule une cloche de plongée empruntée aux Anglais – alors qu’ils avaient été nos ennemis jurés, quelle ironie ! – permit de les stabiliser. La facture finale fut de 8 260 000 francs, remboursables par les péages : 1 sou par piéton, 5 sous par cavalier et 6,5 sous par diligence ! Un péage qui prit fin en 1861, nous l’avons construit et payé, il s’agit bien de notre pont.

Non content d’être beau par l’ordonnance de ses piles, alliant merveilleusement pierre calcaire de Saint-Macaire et brique faite avec la vase de la Garonne, il est en plus décoré de médaillons royaux et éclairé par des lampadaires au gaz de ville. Il était en 1822 le summum de l’ingénierie française ! Aucun autre pont sur fleuve aussi long n’avait été bâti en France ! Que l’on soit sur le Rhône à Arles, Avignon, Valence ou Lyon, sur la Loire à Nantes et Tours, ou sur la Seine à Rouen, l’on n’a toujours que 150 à 250 mètres de largeur ! L’indomptable Garonne a vu ses 480 mètres irrémédiablement franchis ! Et il était d’autant plus remarquable qu’il était le seul pont depuis Toulouse ! Où leur Pont-Neuf – qui est en fait le plus vieux – terminé en 1632, en fait moins de la moitié ! Notre Pont de Pierre fut le plus grand pont du pays, jusqu’à ce que nous détrônions notre propre record : en 1836 furent achevés les 1 545 mètres du pont suspendu de Cubzac-les-Ponts !

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