La Justice des Jurats

Peut-on réellement parler de « Justice » lorsqu’elle ne sert que les intérêts des Hommes qui la font mais à qui elle ne s’applique pas ? Les Jurats de Bordeaux ont obtenu leur création et de nombreux privilèges de la part des descendants de notre Duchesse Aliénor d’Aquitaine, afin de s’administrer en leur nom et contre les Français. Mais quelle ne fut pas la douleur de la population d’être sous la coupe de ces privilégiés…

Qui étaient-ils ?

Les Jurats étaient une assemblée d’une dizaine à une cinquantaine d’hommes issus de la bourgeoisie bordelaise, riches marchands, hommes de Lois ou aristocrates, ayant régné sur la ville de 1200 jusqu’à 1789 ! Leur élection n’avait rien de démocratique, puisque les jurats sortants choisissaient leurs successeurs lors d’un conseil clos les 24-25 juillet chaque année, parmi « les meilleurs et les plus capables pour le profit de notre souverain seigneur, le Roi de France et/ou d’Angleterre et pour le gouvernement et l’utilité de la Ville », sous la pression ou non des agents dudit Roi. Le Chef de la Jurade – sorte de conseil municipal actuel – était alors le Maire de Bordeaux…

Que faisaient-ils ?

De 1200 à 1224 les tâches sont floues et semblent prolonger les politiques seigneuriales médiévales connues alors, mais avec la Charte du Roi d’Angleterre Henry III reconnaissant désormais leurs privilèges, ceux-ci se voient alors disposés « d’avoir et de faire parmi eux un maire et une commune avec toutes les libertés et libres coutumes appartenant au maire et à la commune ». Logés dans la Mairerie, dont la Grosse Cloche est le dernier témoignage, les cachots municipaux, les Jurats avaient des pouvoirs presque illimités, que ce soit dans la levée de milice bourgeoise ou en soldant des mercenaires, en appliquant la Justice de la Commune au Civil comme au Criminel en jugeant les manquements aux devoirs de bourgeoisie et à ceux d’habitant de la ville, tels que les définissaient la Charte des Etablissements de Bordeaux en 1253. Leur assemblée, appelée Jurade, se réunissait pour traiter des activités économiques en fixant les prix et les montants des taxes, la surveillance des hôpitaux, s’occupait de l’urbanisme, de l’éducation et le maintien de l’ordre public. Pour se faire ils travaillaient avec le Sous-Maire, le Greffier, le Procureur de la Ville, le Trésorier, le Peseur de Pain, une armée de clercs pensionnaires, juristes, sergents, soldats, portiers, trompettistes-crieurs…Ils créèrent même un Conseil des Trente, puis un Conseil des Trois-Cents, pour ajouter toujours plus de bourgeois dans leur entourage afin de mieux étendre leurs racines dans la société et s’y faire bien voir. Il n’empêche qu’in fine les Jurats gouvernaient à leur guise.

Quelle Justice appliquaient-ils ?

Celle-ci changea en fonction du Roi servit, anglais ou français. Dès le XVIème siècle, il fallut pour prononcer une peine capitale une preuve pleine (soit deux témoignages de visu, ou un indice indiscutable, voir un aveu – quel que soit le moyen utilisé pour l’obtenir), ce qui était assez rare, donc il existait aussi des preuves semi pleines et des adminicules (indices légers) qui pouvaient se combiner ! Ainsi deux semi pleines formaient une preuve pleine, tandis que plusieurs adminicules formaient une preuve semi pleine ! Les simples présomptions et les témoignages indirects étaient donc suffisants pour accuser sérieusement quelqu’un, même si pour les seconds la récusation des personnes par celui mis en cause était monnaie courante. Quant aux présomptions, elles n’étaient recevables que si elles provenaient d’un fait connu. Mais bien souvent, faute de mieux, un fait inconnu fruit d’une simple rumeur suffisait ! Les indices subissaient eux aussi une classification allant de ceux indiscutables, en passant par ceux jugés graves, à ceux dits légers. Mais si ceux-ci étaient dus à une quelconque expertise, le cas échéant si le Juge ne le désirait pas, il pouvait en toute bonne fois ne pas tenir compte des avis des experts. Cela posait bien sûr d’une manière aiguë le problème de la partialité du Jugement. Afin de ne pas être confronté à cette situation, tout était fait pour obtenir un franc aveu, bien souvent par la torture.

Sauf pour le bourgeois de Bordeaux bien sûr, puisque celui-ci était le maître absolu de ses biens et des siens. Ainsi il avait le droit de se faire justice lui-même si un de ses
domestiques l’avait volé ! De même qu’il représentait sa femme, ses fils et ses serviteurs devant les tribunaux. Si par exemple il commettait un délit ou un crime contre ceux de sa maison il était à peine responsable devant la loi ! Pour qu’il s’en tire, il suffisait qu’il jure sur les Evangiles qu’il avait agi dans un moment de colère et qu’il regrettait son geste !

En revanche, pour les autres citoyens, les pauvres, l’éventail des peines fut dès le départ représentatif de l’imagination de l’homme au service de la punition. Le bourreau qui habitait rue Porte Basse venait travailler sur l’actuelle Place Fernand Lafargue où se tenait le pilori auquel étaient exposés aux manants les accusé(e)s de vols, maquerellage, filouteries, excès nocturnes, crime par rapt ou par séduction ! Les voleurs étaient le plus souvent exécutés au Moyen-Âge, et sous période française plutôt marqués au fer rouge, voire même bannis, condamnés à des années de « galère ». Les amants adultères devaient courir nus à travers la ville poursuivis par une foule plus catholique. Les hommes polygames étaient pendus. Les femmes de mauvaises vies subissaient le bain de la maquerelle. Battues, elles étaient enfermées dans une cage en fer pour être plongée neuf fois de suite dans la Garonne à coup de trompette. Si elles survivaient elles étaient ramenées en ville pour être fouettées publiquement et bannies de la Sénéchaussée de Bordeaux. Cette pratique tomba en désuétude à la fin du XVIème siècle. L’écartèlement était réservé aux régicides et aux coupables de lèse-majesté ! La peine du bûcher était réservée pour tout meurtre par sorcellerie, ou pour l’inceste, la bestialité, la sodomie et l’hérésie. Les blasphémateurs quant à eux devaient selon la coutume avoir la langue percée au fer rouge ! Et enfin les meurtriers étaient punis dès 1253 en étant enterrés vivants sous le cadavre de la victime pour y mourir étouffé !

Que de réjouissances pour ceux qui désobéissaient aux Jurats, au Roi et à Dieu !

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